“L’homme le plus dangereux, pour tout gouvernement, c’est l’homme capable de penser par lui-même, sans se soucier des superstitions et tabous prédominants. Presqu’inévitablement, il en vient à la conclusion que le gouvernement sous lequel il vit est malhonnête, fou et intolérable et donc, comme il est romantique, il tente de le changer. Et même s’il n’est pas un romantique personnellement, il est tout à fait apte à semer le mécontentement parmi ceux qui le sont.”
(Henri Louis Mencken, 1919)
Ces mots, cités par Warren Ellis à la fin d’un des 60 chapitres de Transmetropolitan, semblent avoir été écrits spécifiquement pour décrire Spider Jerusalem, truculent anti-héros de ce comics cyberpunk aussi déjanté qu’acéré. Sorte de réincarnation future de Hunter S. Thompson, animé par la rage et le cynisme d’Howard Beale (protagoniste du film Network); chauve, tatoué, tout de noir vêtu à l’exception de ses lunettes asymétriques et colorées, et carburant à toutes sortes de drogues; Spider Jerusalem est prêt à dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Peu importent les conséquences, et la quantité impressionnante d’ennemis qu’il accumule à chaque papier publié (faut-il préciser que sa rubrique se nomme “I HATE IT HERE” ?)
Warren Ellis et l’artiste Darick Robertson nous présentent Spider alors qu’il est de retour dans la tentaculaire “City” après 5 ans d’exil auto-infligé. Lors de la précédente élection présidentielle, Spider a en effet tout fait pour empêcher la réélection du président sortant, surnommé “The Beast” (un sobriquet inventé par Spider lui-même et qui a fini par éclipser le vrai nom du politicien). Malheureusement, The Beast a quand même été réélu, et Spider, dégoûté, est parti vivre en ermite en haut d’une montagne. Alors que la série commence, Spider est tiré de sa retraite par son éditeur, avec qui il avait signé un accord pour deux livres. Si Spider ne se met pas au travail, l’éditeur menace de lui envoyer ses avocats. Et c’est ainsi que Spider retourne battre le pavé de la City.
Spider obtient (par le chantage et la menace) une rubrique hebdomadaire dans le quotidien “The Word”, dont le rédacteur-en-chef, Mitch Royce, est une vieille connaissance. Rapidement, Spider se retrouve affublé de deux “sales assistantes”, Channon Yarrow (ex strip-teaseuse et garde du corps, avec un goût certain pour les armes à feu) et Yelena Rossini (aussi cynique et désabusée que Spider lui-même), ainsi que d’un chat mutant bicéphale accroc à la cigarette. Spider reprend du service juste à temps pour couvrir la nouvelle élection présidentielle. Autant dire qu’il va y avoir du sport…
L’univers de Transmetropolitan est joyeusement détraqué, mélangeant le loufoque le plus improbable au glauque le plus sordide. La City regorge d’individus étranges ou dérangés, de salauds ordinaires et de paumés extraordinaires, d’oppresseurs et de victimes — et ce sont parfois les mêmes personnes. Chaque chapitre de Transmetropolitan regorge d’idées et de détails, comme les “Transients”, minorité ethnique dont le patrimoine génétique a été – à dessein – mélangé à de l’ADN extra-terrestre, ou les “Revivals”, de pauvres hères cryogénisés au siècle précédent qui sont ramenés à la vie – et abandonnés – dans un monde n’ayant plus rien à voir avec celui qu’ils ont connu. Défenseur des causes perdues, paladin des déshérités et des victimes du système, Spider Jerusalem, qui apparaît au départ comme un fou furieux antipathique et misanthrope, se révèle petit-à-petit comme un personnage profondément humain et sensible, déchiré entre son amour et sa haine de l’humanité, dont la cruauté et la stupidité le révulsent.
Enfin, quand il n’est pas en train de braquer son “Canon Intestinal” sur les types qui ne lui reviennent pas.
Avec Transmetropolitan, Ellis et Robertson livrent avant tout une chronique jubilatoire et à couteaux tirés de notre propre société. Mêlant le burlesque au grand-guignol, la philosophie au thriller, la réflexion politique au scato le plus outrancier, Transmetropolitan est sans aucun doute un OVNI de la bande-dessinée et probablement l’une des œuvres majeures du comics des années deux mille.
Inspiration Shadowrun : A l’approche d’une élection importante, les runners se retrouvent au cœur d’une véritable “guerre de la Vérité”. D’un côté, un journaliste jusqu’au-boutiste déterminé à informer ses concitoyens et à leur ouvrir les yeux sur le monde qui les entoure, qu’ils le veuillent ou non. De l’autre, un politicien sans scrupule bien décidé à le faire taire une fois pour toute. Ce sera aux runners de décider pour quel camp ils souhaitent se battre, mais ils découvriront bien vite que le journaliste est loin d’être un client facile, et que rester à ses côtés signifie se mettre à dos beaucoup de gens influents…