Si on attendait depuis longtemps le grand retour des romans Shadowrun, les nouvelles publications se sont avérées très inégales. Fire & Frost, malgré quelques bonnes idées, était également plein de contradictions et de maladresses. Hell on Water, au style très particulier, a profondément divisé les lecteurs (certains, comme moi, l’ont beaucoup apprécié, mais mon avis semble être minoritaire au sein de la communauté). Dark Resonance n’était pas de la grande littérature, mais se lisait sans déplaisir.
Le quatrième roman, Crimson, avait suscité notre intérêt par sa couverture terriblement badass. Un elfe vampire magicien en train de vider son chargeur sur un Esprit Guêpe dans un immeuble en ruine ? Le genre de scène que l’on ne peut trouver que dans Shadowrun ! Mais une belle couverture suffit-elle à faire un bon roman ?
Le personnage principal de Crimson est Rick “Red” Johnson, l’elfe vampire en question. L’histoire commence en octobre 2064. Obligé de quitter Seattle pour quelques temps après avoir volé dans les plumes d’un clan Yakuza, Red se rend à Chicago, où un vieil ami, la goule Needles, a justement besoin de muscles pour lutter contre une Reine Termite un peu trop entreprenante. Le combat ne se déroule pas tout-à-fait comme prévu, et lorsque Red reprend ses esprits, le calendrier indique la date du 21 novembre… 2076. Joyeux Thanksgiving !
Tandis que Red tente de s’habituer à un monde qui a — une fois de plus — beaucoup changé durant son sommeil forcé, il va également s’impliquer dans la vie quotidienne de la petite communauté de goules menée par Needles. Les autorités commencent petit à petit à reprendre le contrôle de Chicago, et les infectés doivent abandonner leur territoire sous peine d’être abattus comme des animaux par les forces de la Lone Star. Tandis que Needles tente de trouver des solutions pour assurer la survie de sa meute sans entrer en conflit direct avec les non-infectés, d’autres goules prônent des méthodes plus agressives…
Crimson est le premier roman de Kevin R. Czarnecki, et commet de nombreuses maladresses “de jeunesse”. J’ai particulièrement roulé des yeux lors des scènes de tension romantique entre deux des personnages, qui tombent trop souvent dans le cliché. Toutefois, la fondation du roman est suffisamment forte et originale pour que l’on puisse ignorer ces problèmes la plupart du temps. Et le roman s’apprécie d’autant plus lorsqu’on réalise enfin qu’il ne s’agit pas de l’histoire de Red, qui n’est “que” le narrateur et témoin des évènements.
La vraie histoire de Crimson, c’est celle de la meute de goules de Needles, ces “monstres” restés envers et contre tout profondément humains. Pas facile d’être une goule à Chicago en 2076, entre les difficultés pour interagir avec le monde extérieur, la nécessité de consommer la chair d’Esprits Insectes à défaut de chair humaine, et les nouveaux dangers qui rôdent dans les tréfonds de la Zone de Confinement (la menace principale du roman est plutôt bien trouvée, bien qu’assez vite expédiée). Suivre le quotidien de ces infectés s’avère très intéressant, mettant en lumière cet facette souvent négligée du Sixième Monde.
Faire des goules le sujet du roman est une bonne chose, car le personnage de Red est ce qu’on appelle une Mary Sue, un personnage trop parfait, qui en a trop vu et trop vécu, pour être crédible en tant que “héros”. On sent qu’il s’agit du personnage joué par l’auteur lors de ses parties de Shadowrun, et que sa “carrière” est une liste de tous les scénarios et campagnes auxquelles il a participé. Magicien avant l’Éveil, atteint par le VVHMH (ce qui aura pour effet de réveiller son gène elfe latent), Red a connu Bug City, a rencontré Tamir Grey, a fait partie de la résistance de l’Arcologie Renraku, a développé sa propre tradition magique… On s’attendrait presque qu’il connaisse personnellement Harlequin et qu’il possède le 06 d’Hestaby…
Malgré les travers liés à l’inexpérience de son auteur, Crimson est toutefois un roman sympathique, certainement l’un des plus intéressants de cette nouvelle vague.